vendredi 5 avril 2013

Un Traître à notre Goût, de John le Carré,

Ils voulaient simplement faire une partie de tennis. Gail et Perry, jeune couple anglais en vacances dans les Caraïbes, échangent quelques balles avec d’autres vacanciers, les Dima, une banale famille russe. Invités à leur soirée, ils deviennent malgré eux des émissaires de la mafia. Les services secrets anglais sont à leurs trousses. Pour s’en sortir, Perry n’a qu’une solution : devenir espion.
Quatrième de couverture par Points.
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« Voilà. Débrouillez-vous seuls. Je suis, donc je n'espionne pas. »
P 136

M’intéressant de près à la mafia russe (ou la mafia tout court), j’étais ravie de voir que John le Carré abordait ce thème assez tabou dans son petit dernier : Un Traître à notre Goût.

Ayant lu La Taupe, je connais déjà plus ou moins le style un peu spécial de ce célèbre auteur anglais, cette plume appuyée et précise qui choisit sagement ses mots, colorant son récit par quelques points d’humour ironiquement, typiquement britannique. Le début du récit est plutôt délicat car les événements en flash-back et flashforward s’enchaînent, mais John le Carré s’en sort relativement bien et je ne me sentais pas perdue en ce début d’aventure. De plus, le récit nous fait voyager des Caraïbes jusqu’à Londres, de Paris jusqu’en Suisse et bien que l’auteur se montre un peu avare dans les descriptions du décor, l’ambiance est bien plantée et on n’imagine sans trop de mal ces paysages uniques.

Mais ce n’est pas pour les descriptions à la Zola que je lis du John le Carré mais plutôt pour ses personnages travaillés. Encore charmée par George Smiley, Bill Haydon et Peter Guillam de La Taupe, j’ai malheureusement trouvé certains acteurs de Un Traître à notre Goût un peu creux. Le couple Gail et Perry n’a pas réussi à me convaincre car d’un côté, j’adorais Gail, cette avocate travailleuse qui continue de creuser pour se faire une place dans le monde qu’elle veut atteindre, tandis que Perry m’agaçait souvent avec ses réactions irraisonnées et égoïstes, me demandant parfois si il ne souffrait pas de bipolarité. C’est vrai que, se retrouver à fréquenter la mafia russe malgré soi, ça peut déclencher certains troubles…
Quant aux autres personnages, le tout m’a plu mais sans plus, il n’y a que le russe Dima qui sort du lot, sa façon de baragouiner le rendait bizarrement attachant. Et bien sûr, sa situation et la conclusion contribuent à cet intérêt. Un chouette gars avec une famille assez frappé, ce serait comique si le sujet était fictif… Mais comme il ne l’est pas, il ne nous reste plus qu’à prendre pitié.
J’ajoute aussi un excellent point aux discussions que j’ai trouvé très rythmées, très fluides, tantôt elles m’amusaient, tant tôt elles me faisaient froid dans le dos. Je salue aussi le travail de traduction d’Isabelle Perrin qui est de très bonne qualité.

« Ce fut au tour d’Hector de se montrer pensif.
« Vous allez devoir vous contenter de notre parole.
- La parole de votre Service ?
- Dans l’immédiat, oui.
- Et elle a quelle valeur ? Les gentlemen qui mentent pour le bien de pays, c’est bien vous, non?
- Ça, c’est les diplomates. Nous, on n’est pas des gentlemen.
- Alors vous mentez pour sauver votre peau.
- Encore raté, ça, c’est les hommes politiques. Rien à voir. »
P 181-182

Les dialogues appréciables donnent de la vie à des intrigues très intéressantes durant le roman. Le lecteur qui pense que John le Carré se contente d’intrigues d’espionnage se plante, car il y a aussi les relations affectives et familiales qui sont en jeu dans le récit. J’ai énormément aimé la relation qui rapproche Gail et l'étrange Natasha. Mais ces intrigues palpitantes durant la première moitié commençaient à s’essouffler durant la seconde moitié et mon intérêt a eu du mal à émerger de nouveau lors de la conclusion, ce qui est bien évidemment dommage…
Un Traître à notre Goût est donc bien un livre de John le Carré, on ne peut se tromper sur l’auteur tant on retrouve sa signature, son humour à la limite caustique et ses personnages atypiques, bien que j’ai préféré ceux de la trilogie de Karla. Il manque juste un peu de souffle au roman pour être réellement frappant et poignant. La lecture vaut quand même le coup pour ceux qui s’intéressent à la Bratva (et si vous êtes en plus très, très dan de tennis) car le Carré connaît quand même son sujet et je n’ai pas du tout regretté ce point.

Pour ceux qui désirent se pencher sur Un Traître à notre Goût, je vous propose un petit lexique pour le vocabulaire qu’on retrouve durant les mésaventures du couple de Gail et Perry :
Apparatchick (en russe, аппаратчик) est un cadre du gouvernement ou du parti communiste, en URSS.
Bratva (en russe, Братва) désigne l’ensemble des réseaux criminels.
Kolyma (en russe, Колыма) est une région russe dans la Sibérie, qui tire son nom du fleuve. Durant l'aire stalinienne, les camps du Goulag étaient très nombreux là-bas. C'est une région qui apparaît souvent dans les œuvres de Chalamov. C’est aussi un titre de livre de Tom Rob Smith (après le tome Enfant 44).
Nomenklatura (en russe, номенклатyра) est un terme pour désigner l'élite du parti communiste de l'URSS et ses blocs.
Vor (en russe, вор) est le nom donné aux "mafieux russes", si on veut faire simple. Traduit, il veut dire "voleur", au pluriel, vor devient vory (Воры). Leur organisation porte également le nom de vory v zakone (воры в законе), ou en anglais Thieves in Law.
« C’est le Prince qui donne les vory à l’État, la pire chose qu’un vor puisse faire. Trahir un homme comme lui est un devoir, aux yeux de Dima, pas un crime. »
P 167

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Alexandre Soljenitsyne et Varlam Chalamov sont deux auteurs russes temps à autre cités dans Un Traître à notre Goût : dans leurs œuvres, ils dénonçaient les conditions du Goulag et les injustices du gouvernement.
• Le roman sera bientôt adapté avec possiblement Mads Mikkelsen pour le rôle principal (je me demande bien quel rôle est principal ? Perry ? Luke ? Dima ?) et il est probable que Ralph Fiennes et Ewan McGregor rejoignent le casting. De plus, les scènes seront partagées entre Londres, Paris, Moscou et Tanger. Juste pour le voyage visuel, je suis tentée ! (source)
• Pour ceux qui s’intéressent également à la mafia russe, je peux vous proposer un excellent site de photographie où j’ai trouvé les images de cette chronique : FUEL. Pourquoi est-il si excellent ? Pour la qualité des photos déjà mais aussi parce que vous trouverez à droite de chaque illustration la signification (supposée ou certaine) des tatouages. À savoir tout de même qu'il s'agit de mafieux photographiés avant les années 1990, donc la signification des tatouages diffère certainement de ceux des années 2010 (n'allez pas harceler pas des russes qui ont des barbelés au bras).

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