vendredi 25 janvier 2013

Premier Amour, précédé par Nid de Gentilhomme, de Tourgueniev,

"Quelle fille excitante que Zénaïde !", écrit Flaubert à Tourgueniev à propos de Premier Amour. "C'est une de vos qualités de savoir inventer les femmes. Elles sont idéales et réelles. Elles ont l'attraction et l'auréole."
L'auréole de Zénaïde, le prototype de la jeune fille russe, capricieuse, insaisissable, irrésistible, le "premier amour" du narrateur (Tourgueniev lui-même) qui trouvera en son père un rival heureux.
L'auréole de Lise, une "mouette" déjà, l'héroïne de Nid de Gentilhomme, histoire d'un amour impossible, analyse désenchantée du conflit qui déchire les Russes cultivés du milieu du siècle dernier entre la fascination de l'Occident et l'amour-haine du pays natal.
Et aussi, telle que Tourgueniev en a été le poète par excellence, la "nature nue et sauvage de la steppe fraîche et grasse" avec ses "longues crêtes mamelonnées, ses ravins garnis de buissons de chênes nains et ses petits villages gris".
Quatrième de couverture par Folio Classique.
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Pour la chronique de cette lecture qui est ma première approche avec la Littérature Russe, mon premier contact avec ce pays qui reste pour certains un mystère complet, je préfère prévenir mes lecteurs tout de suite : je ne regrette pas du tout et jamais 300 petites pages ne m’auront autant chamboulée.

Vous savez, les barbes, c'est déjà un peu mon point sensible, 
alors quand l'auteur a une magnifique plume...

Comme il s’agit de deux nouvelles, je sectionne mon article en deux avant de faire une petite conclusion sur l’auteur et l’impression générale.

          Nid de Gentilhomme, titre original : Дворянское гнездо, publié en 1859 :

Alors que des cœurs abîmés tombent sous le charme de jeunes filles de bonne famille, que des femmes adultères collectent des innocents narcissiques, moi, pendant ce temps, je tombe amoureuse du formidable Ivan Tourgueniev en l’espace de quelques pages. La traduction est pourtant de mauvaise qualité (je dis ça notamment parce que je ne supporte pas que l’on traduise les noms, cela revient à négliger, détruire l’influence slave et à mes yeux, le roman en prend un coup), mais la poésie a survécu à l’horrible autopsie : Ivan Tourgueniev joue avec toutes les sensations, les émotions, mettant vraiment l’accent sur la musique qui enveloppe ce petit roman.
« Depuis longtemps, Lavretski n’avait rien entendu de pareil : une mélodie exquise, passionnée, qui vous empoignait dès la première note ; ce n’était que rayonnement, que feu brûlant d’inspiration, de bonheur, de beauté ; la mélodie s’en allait croissant, devenait fluide, caressait dans son cours tout ce qu’il y a sur terre de chéri, de mystérieux, de saint ; elle respirait une immortelle tristesse et s’en allait mourir dans les cieux. »
P 184 - 185

Je ne m’attendais pas à découvrir un côté romantique chez moi d’ailleurs, surtout au vu de l’introduction qui tient presque de la pièce de théâtre. Étrangement, la « facilité » du récit, les enchaînements presque burlesques ne m’ont absolument pas dérangé sur le coup puisque l’on plonge rapidement dans la tragédie dès qu’on touche au passé du fameux Fedor Ivanitch Lavretsky (ce nom-là est utilisé dans les versions anglaises, il est appelé Théodore Ivanitch Lavretski en français, mais par chance, les anglophones savent mieux lire l’alphabet cyrillique que les traducteurs français, puisque le nom d’origine est Фёдор Иванович Лаврецкий). Et là, le coup de foudre total : le personnage du courant romantique dans toute sa splendeur, j’irai même jusqu’à le considérer comme un parfait martyr et j’étais très sensible à ce personnage (à partir de la fin du chapitre 7, je ne pouvais pas rester de marbre, de toute manière).

Mais pas que ! J’ai adoré le vieux musicien allemand, Lemm, le genre de personnage aigri au possible avec pourtant un bon fond, Marthe, la bonne grand-mère qui ne m’a pas ennuyée une seule fois et bien entendu, le personnage phare qui accompagne Fedor : Élisabeth Mikhaïlovna Kalitina, qui est pour moi la Jane Eyre russe.
Et j’allais presque oublier le pote d’université de Fedor : Mikhaliévitch ! Un peu spécial, mais ses retrouvailles avec Fedor au chapitre 25 étaient juste superbes. Il faut imaginer : deux anciens étudiants qui se revoient des années après, ressassant le passé et « gueulant » jusqu’à 4 heures du matin, à coups de gentilles disputes et empêchant les voisins de dormir… Ça m’a rappelé, bien évidemment, des souvenirs personnels et je me suis sentie plus que jamais proche des personnages.

Affiche de l'adaptation cinématographique de 1969.

C’est d’ailleurs un point que j’ai aimé dans le style d’Ivan Tourgueniev : certes, ses personnages tiennent presque de la caricature, mais ils sont dépeints avec un certain réalisme et on se reconnaîtra forcément dans l’un d’entre eux.

Y a-t-il alors un défaut que je peux reprocher à Nid de Gentilhomme ? Sûrement, l’œuvre n’est certainement pas parfaite et lire des critiques négatives m’éclairciront sûrement un peu les idées. Mais pour l’instant, rien ne me vient en tête si ce n’est que j’ai été kidnappée par cet auteur et qu’il m’a relâchée beaucoup trop tôt, me balançant littéralement d’un nuage pour que j’aille m’écraser, tête la première, dans ma douleur.
« Et vous n’avez pas besoin de vous occuper de moi ; nous autres, vieilles gens, nous avons une occupation que vous ne connaissez pas encore et qu’aucune distraction ne pourra remplacer : c’est le souvenir. »
P. 256

Ivan Tourgueniev conserve la beauté de son roman jusqu’à l’épilogue et aura réussi à me faire pleurer par la force de quelques mots. Un roman bien court que je relirai peut-être un jour, quand le choc sera passé et que je serai de nouveau d’humeur masochiste.

          Premier Amour, titre original : Первая любовь, publié en 1860 :

Si j’ai largement préféré Nid de Gentilhomme, Premier Amour reste une petite nouvelle romantique avec des soupçons de mystère. J’étais incapable de dire si j’aimais ou détestais l’héroïne Zénaïde, qui n’a sûrement rien à envier à la Nana d’Emile Zola ou la Marquise de Merteuil de Laclos. Et pourtant, elle conserve un bon fond de jeune rêveuse, capricieuse et assez innocente dans ses idylles : impossible de savoir si je devais la blâmer ou non. Quant au narrateur, Vladimir, ses lubies amoureuses étaient moins insupportables selon moi : plus jeune, son goût pour le mélodrame en fait de lui un adolescent assez réaliste. (Quoi ? Vous n’avez jamais rêvé d’un peu de mélodrame dans vos premières romances, vous ?)

 Les deux œuvres dans des éditions russes.

En fait, ce n’est pas tant les personnages : ils restent agréables même si la galerie de Nid de Gentilhomme m’a fait complètement rêvé. J’ai surtout trouvé que Premier Amour était moins poétique et je me demandais si c’était parce qu’il ne s’agit pas du même traducteur ? Alors qu’on sentait Ivan Tourgueniev sensible à la nature dans Nid de Gentilhomme, là, le décor est moins mis en place, se portant surtout sur les relations, les impressions partagées par le narrateur. Il était juste dommage de n’avoir que des aperçus fugaces de la relation entre Zénaïde et le père de Vladimir : j’aurai aimé « comprendre » cette relation assez passionnelle, élément important de cette nouvelle.
Je serais bilingue russe, je me serais immédiatement jetée sur la version originale pour vérifier mes doutes, mais il faudra malheureusement que je me contente de cette seconde traduction qui me semble plus fade.

Ce qui rattrape en revanche cette nouvelle, c’est bien la conclusion à mes yeux : la fatalité qui tombe sans crier gare, l’évolution du narrateur… J’ai apprécié cet épilogue qui clos correctement l’histoire.

Ma conclusion pour ces deux nouvelles sera relativement courte : Ivan Tourgueniev m’a conquise et, bien que peu connu en France, j’irai à la recherche de ses autres ouvrages, peut-être Pères et Fils comme il s’agit de son roman le plus populaire.
Pour ceux qui, comme moi, veulent commencer à côtoyer la littérature russe (et classique), Premier Amour et/ou Nid de Gentilhomme ne sont pas des mauvais choix !

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Comme j’ai l’impression qu’on ne le répétera jamais assez, Premier Amour est effectivement une semi-autobiographie, mais pas pour l’histoire d’amour, Ivan Tourgueniev place ce côté personnel surtout dans la relation père-fils.
• Durant le XIXème siècle, le russe était reconnu comme étant une langue compliquée, savoir le parler correctement était donc très bien vu. Mais c’était encore mieux lorsqu’on savait aussi parler français : c’était preuve de raffinement. En clair, tous les bons bourgeois ruses parlaient français à l’époque. Au vu des personnalités que met en place Ivan Tourgueniev, tous les mots en italique ou entre étoiles (selon les éditions) sont donc réellement en français.

4 commentaires:

  1. Romance russe ?? Ca me donne trés envie de lire !

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    1. Et tout ce qui va avec ! Du tragique et du romantique comme seul un russe peut en écrire, j'espère que ce sera une très belle découverte pour toi aussi en tout cas.

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  2. Plus que l'œuvre elle-même, tu m'as donné envie de lire l'auteur et ça c'est assez rare pour être souligné ! Merci beaucoup pour cette belle découverte.

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    1. Ah bah ça... Tourgueniev ou le charme fou de sa barbe, since 1870.

      Non, plus sérieusement, je suis ravie si cet auteur te tente mais j'espère surtout que ses récits te charmeront autant que moi ;)
      Je passerai à l'occasion pour voir ce que tu en as pensé.

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