mercredi 15 juillet 2015

La Huitième Couleur, de Terry Pratchett,

Dans une dimension lointaine et passablement farfelue, un monde en forme de disque est juché sur le dos de quatre éléphants, eux-mêmes posés sur le dos d’une tortue.
À Ankh-Morpork, l’une des villes de ce Disque-Monde, les habitants croyaient avoir tout vu. Et Deuxfleurs avait l’air tellement inoffensif, bonhomme chétif fidèlement escorté par un Bagage de bois magique circulant sur une myriade de petites jambes.
Tellement inoffensif que le Patricien avait chargé le calamiteux sorcier Rincevent de sa sécurité dans la cité quadrillée par la guilde des voleurs et celle des assassins ; mission périlleuse et qui va les conduire loin : dans une caverne de dragons et peut-être jusqu’aux rebords du disque.
Car Deuxfleurs appartenait à l’espèce la plus redoutable qui soit : c’était un touriste…
Quatrième de couverture par Pocket.
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Tout d’abord, je tiens à remercier mon ours pour m’avoir prêté ce livre d’un auteur récemment disparu mais que je voulais rencontrer depuis longtemps. Terry Pratchett a laissé derrière lui une bibliographie bien fournie et je ne savais quel livre lire, jusqu’à ce que le premier tome, La Huitième Couleur, me soit confié et je regrette de le rendre car ce fut un vrai coup de cœur !
(m’en fiche, je l’achèterai avec le second tome dans l’édition illustrée par Marc Simonetti, hop)

L’illustration, signée Josh Kirby, a été utilisée pour l’édition anglaise et celle de l’Atalante et de Pocket. 
« Dans un ensemble lointain de dimensions récupérées à la casse, dans un plan astral nullement conçu pour planer, les tourbillons de brumes stellaires frémissant et s’écartent…
Voyez…
La tortue la Grande A’Tuin apparaît, elle fend d’une brasse paresseuse l’abîme interstellaire, ses membres pesants recouverts d’un givre d’hydrogène, son antique et immense carapace criblée de cratères météoritiques. De ses yeux vastes comme des océans, encroûtés de chassie et de poussière d’astéroïdes. Elle fixe le But Ultime.
Dans son cerveau plus grand qu’une ville, avec une lenteur géologique, Elle ne songe qu’au Fardeau.
Une bonne partie du fardeau est évidemment due à Bérilia, Tubul, Ti-Phon l’Immense et Jérakine, les quatre éléphants géants dont les larges épaules bronzées par les étoiles soutiennent le disque du Monde que la longue cataracte enguirlande sur son vaste pourtour et que surplombe le dôme bleu layette des Cieux.
L’astropsychologie n’est toujours pas parvenue à établir à quoi ils pensent. »
P. 7

Avec une telle introduction, j’ai été conquise dès le début. Certes, j’ai eu du mal à me familiariser avec cet univers, mais aidée d’une carte et d’un guerrier Pratchettien, j’ai vite pris mes aises et j’ai ri du début à la fin !

Déjà, pour lire du Pratchett, il faut connaître la Fantasy : l’auteur s’adresse aux fins amateurs du genre et les régale d’une satyre gentille et délicieusement absurde. Ceux qui ne trouvent pas leur bonheur auprès de dragons immenses, de barbares armés jusqu’aux dents, de sorciers savants mais décalés ou de dryades sauvages ne trouveront pas plus de joie chez Pratchett. En revanche, ceux qui ont épousé ce genre littéraire depuis des années et parlent aussi bien le khûzdul que le dothraki risquent d’être ravis par le monde délirant de Terry Pratchett.

Même si on ne l’explore pas entièrement en un tome, on voyage déjà beaucoup dans La Huitième Couleur
la carte vous aidera certainement.

J’ai envie de comparer La Huitième Couleur à La Couette de l’Oubli mais ce serait uniquement pour donner un autre ordre d’idée : l’humour de Pratchett est moins parodique que celui de John Lang, mais ils délirent autant l’un que l’autre !
Mais plus que son humour, c’est son imagination que j’applaudie : des dragons transparents, des trolls aquatiques, une couleur qui n’existe pas, un bois enchanté, un vin à base de méduses… Pratchett nous entraîne dans son univers, un univers complet et que j’ai hâte de découvrir à travers la suite des aventures du mage Rincevent et le touriste Deuxfleurs et les autres tomes.

Concernant les personnages, d’ailleurs, ce ne sont pas des pâles figures dans un monde en couleurs : ils ajoutent tout le piment dans ce plat british aux étranges saveurs. Rincevent, le mage raté aussi peureux d’un lapin sauvage mais qui cache bien des atouts, Deuxfleurs, aussi joyeux et aventurier qu’un Hobbit (je l’ai imaginé plus d’une fois avec des pieds nus et velus d’ailleurs…), Hrun, pas franchement intelligent mais désabusé à souhait et bien sûr, les fans de Pratchett l’attendent… La Mort. Cynique, fier, terrifiant… Et incroyablement sympathique (Tant qu’il ne vient pas pour nous !). Je suis heureuse de savoir que c’est un personnage qu’on croise régulièrement et je commence à comprendre le succès qui le berce dans cette communauté.

La dernière chose qui a réussi à me convaincre, c’est la plume de Pratchett, j’ai l’impression que le traducteur Patrick Coulon a fourni un très bon boulot aussi car les phrases sont vivantes, fluides. Malgré le côté délirant, j’ai trouvé une certaine aisance dans la narration qui guide le lecteur et le perd le moins possible. Le ton est maintenu et les dialogues ne manquent pas de charme.
En plus d’avoir un sens de l’humour efficace et des idées à la pelle, Pratchett pouvait se vanter de savoir écrire.

Pocket réédite tous les tomes du Disque-Monde et laisse les couvertures entre les mains du talentueux Marc Simonetti qui, une fois de plus, impressionne par ses talents d’illustrateurs tout en rendant hommage au récit.
(qui reflète parfaitement l’esprit du livre, au passage)

Cette découverte est donc la plus belle de l’année, mon premier vrai coup de cœur et je suis heureuse d’avoir enfin lu un roman de Terry Pratchett, malgré mon train de retard. Mais enfin, découvrir l’auteur après son décès et pousser d’autres lecteurs à en faire autant, n’est-ce pas lui donner un semblant d’immortalité ?
La Mort risque de ne pas aimer ça…

Autant le récit que la couverture m’évoquent des notions de liberté. Alors ouais, on voit peut-être pas la même chose, on ne ressent peut-être pas la même impression, mais voilà, sachant que cette idée est relativement floue, je raccroche cette chronique au numéro 152 du Challenge des 170 Idées (en plus, la liberté correspond plutôt bien au passage en question) :

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Il y a un certain désaccord concernant la particularité de Deuxfleurs qu’on décrit comme ayant "quatre yeux", certains artistes lui ajoutent donc des lunettes tandis que d’autres prennent l’expression au pied de la lettre en le dotant vraiment de quatre yeux… Je vous propose de comparer les illustrations respectives de Simonetti et Kirby (en zoomant sur celui qui descend les marches) pour admirer la confrontation.
• Cela amusera les grands fans (dont moi) : la Huitième Couleur a été adaptée en téléfilm en 2008 et c’est Christopher Lee qui a doublé la Mort.

2 commentaires:

  1. Super! Tu t'es finalement convertie à Pratchett! Je suis en joie! :)

    Pour le coup des "quatre-yeux", les ayant lus dans la vieille édition pocket, j'ai été trompé par les illustrations de Kirby, et je m'imaginais moi aussi au début que Deuxfleurs était un extra-terrestre... Ce qui à certains moments a créé bien des confusions... (d'ailleurs pour moi l'expression "premier touriste du Disque-Monde, qui figure dans le résumé de cette ancienne édition, voulait dire que c'était le premier touriste "étranger au Disque-Monde" à le visiter...) Il a fallu que je visionne le téléfilm entre ce tome-ci et le suivant pour enfin réaliser que Deuxfleurs était en réalité bien humain et portait des lunettes! :)

    "Deuxfleurs, aussi joyeux et aventurier qu’un Hobbit (je l’ai imaginé plus d’une fois avec des pieds nus et velus d’ailleurs…)"
    C'est marrant que tu dises ça, puisque dans le téléfilm il est interprété par Sean Astin, justement! :)

    Concernant la Mort, il fait facilement partie des têtes gagnantes de mes personnages préférés - d'ailleurs, après avoir bien avancé dans la lecture des tomes de la "trame Rincevent", ce sont ceux où notre bon vieux faucheur occupe une place importante que je me suis mis à chercher!
    (au passage, il est très connu pour apparaître dans chaque tome des Annales, que ce soit en tant que personnage principal ou pour une simple réplique)

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  2. Ah je suis ravie :) Les tomes sont indépendants... sauf les deux premiers. Je trouve que l'humour à l'écrit est un exercice difficile, mais relevé avec brio par Pratchett (et ce, à chaque tome). Mes préférés sont les sorcières et la Mort. Ce sont de bons téléfilms quand même :P Et effectivement, 4 yeux pour moi, ce sont les lunettes.

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