Germinie Lacerteux est une fille du peuple, une héroïne sans le moindre rang social.
Mais le roman des frères Goncourt ne choque pas avec cette pointe d’audace : c’est le destin tragique de Germinie qui affole les lecteurs qui assistent à ses tourments. Abus, amours frustrés, alcoolisme, dettes… Une véritable descente aux enfers que ni Jupillon, son amant, ni Mlle de Varandeuil, sa maîtresse, ne pourront freiner.
Quatrième de couverture personnalisé par le vampire aigri.
---
« Et quand elle fut dans son lit, ce qu’elle avait vu revint devant elle. Il y avait toujours auprès d’elle la morte horrible, ce visage effrayant dans le cadre de cette bière. Son regard avait emporté au dedans d’elle cette tête inoubliable ; sous ses paupières fermées, elle la voyait et en avait peur. [Elle] était là, avec le bouleversement de traits d’une figure d’assassinée, avec ses orbites creusés, avec ses yeux qui semblaient avoir reculé dans des trous ! Elle était là, avec cette bouche encore tordue d’avoir vomi son dernier souffle ! Elle était là, avec ses cheveux, ses cheveux terribles, rebroussés, tout debout sur sa tête ! »
Chapitre LXVII
Je n’accroche pas aux romans d’apprentissage, David Copperfield n’avait pas réussi à m’émouvoir et L’Éducation Sentimentale m’avait un peu ennuyée… Mais curieusement, dans un genre d’histoire similaire, j’aime beaucoup les romans naturalistes où s’accumulent aussi des rebondissements tragiques, des personnages réalistes et un contexte fouillé, qui plonge dans une période historique.
Germinie Lacerteux, sans être un coup de cœur, est une bien jolie découverte : repéré sur Littérature Audio, cet audiobook gratuit est narré par Pomme qui prête une voix convaincante à ce récit.
Germinie Lacerteux plonge dans le XIXème siècle français, mais plutôt que de fréquenter les salons et les bals, les châteaux et les journées tranquilles, les frères Goncourt prennent par la main le lecteur pour l’entraîner dans les cafés, les bars, les ruelles étroites…
Mais finalement, plutôt que de longues descriptions interminables sur les vêtements et les bijoux, les ornements dans les moindres recoins de pièce, l’architecture et les vies de quelques PNJ en arrière-plan, les Goncourt misent plutôt sur la psychologie, les relations, les pensées de leurs personnages, apportant de la richesse dans ces acteurs.
Globalement, j’ai été séduite par tous : Germinie Lacerteux étant le personnage principal, ce n’est pas malheureux de l’apprécier énormément, j’ai été touchée par son histoire, son récit. J’ai aimé ce caractère si optimiste, si naïf qui tente de maintenir la tête hors de l’eau…
De plus, si je n’ai pas eu autant d’affection pour Mademoiselle de Varandeuil, la relation qui alliait les deux femmes est très douce, m’intéressant jusqu’à la conclusion.
Se concentrant peu sur le cadre, le décor, les frères Goncourt (mais lequel écrivait ?) misent donc sur la psychologie et tant mieux : je ne sais pas ce que vaudrait Germinie Lacerteux version Balzac avec des ambiancements de vision du monde, mais les Goncourt gèrent dans le registre intime. Les émotions passent, se transmettent par cette plume efficace (mais laquelle ? Celle de Jules ou d’Edmond ?).
Certes, Germinie Lacerteux ne choquera pas le lecteur du XXIème siècle à côté de celui du XIXème (quoique, il y est question de viol pédophile, à un moment…), mais cela n’empêche pas d’avoir un pincement de cœur, même en le lisant en 2017.
Germinie Lacerteux est donc un roman très intéressant avec un personnage attendrissant, certes pas tout blanc et qui perd ses vertus mais qui s’efforce d’être bien intentionné. Les frères Goncourt ont écrit peu de romans et ils ne sont pas disponibles n’importe où, ce qui est bien dommage : cette découverte a réussi à me convaincre et je garderai un bon souvenir de cette histoire cousue dans le drame total, mais sans exagération.
Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Le personnage de Germinie Lacerteux aurait été inspiré par la troublante servante des frères Goncourt, Rose Malingre, qui menait une double vie très inspirante qui a été découverte après qu’elle soit emportée par la tuberculose en 1862.
• Publié en 1865, Germinie Lacerteux est considéré comme le premier roman naturaliste. Zola participe également à ce courant et publie en volume en 1877 L’Assommoir, un roman qui ressemble un peu trop à celui des Goncourt selon Edmond et le frère aîné accuse Zola de plagiat. Mort en 1870 de la syphilis, Jules de Goncourt n’assistera pas à cette querelle.
• Petit plus au cas où : les auteurs Goncourt ne vous parlent peut-être pas, mais le prix littéraire Goncourt est déjà plus connu. Est-ce qu’il y a un rapport ? Oui ! Ce sont ces frères qui ont lancé la tradition de décerner chaque année un prix littéraire, tradition qui perdure jusqu’à aujourd’hui.
Je n'ai rien lu des Goncourt mais ta chronique me donne furieusement envie de combler cette lacune. Je suis raide dingue de Zola, mais en lisant ton billet, je me disais que Germinie me faisait penser à Gervaise... Goncourt aîné n'était peut-être pas parano ! ;)
RépondreSupprimer