vendredi 31 mars 2017

La Mouche, suivi de Temps Mort, de George Langelaan,

« À la mémoire des futures victimes de la relativité. » Pour le lecteur du recueil, la dédicace de « Temps mort » résonne comme une menace et les mésaventures d’Yvon Darnier comme un avertissement. Victime d’une expérience scientifique mal maîtrisée, ce dernier est projeté dans un monde où le temps paraît suspendu et la vie arrêtée. Le sort de Robert Browning dans « La Mouche » n’est pas moins tragique quand, à l’issue de sa tentative de téléportation ratée, il découvre avec effroi qu’il n’a plus tout à fait apparence humaine.
Voici deux histoires terrifiantes, deux chefs-d’œuvre du genre dans lesquels la science nous ouvre les portes d’une réalité étrange et saisissante.
Quatrième de couverture par GF Flammarion.
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Peu de gens connaissent George Langelaan, pourtant, il est l’auteur d’une nouvelle qui a donné le chef d’œuvre de David Cronenberg La Mouche (pitié, connaissez au moins cette perle du cinéma d’horreur-science-fiction, c’est un de mes films favoris).
J’adore la littérature horrifique, dans le fantastique, la peur cohabite avec la fascination pour ce qui est surnaturel et ces créatures qui déguisent beaucoup de peurs humaines et bien réelles finalement. La science-fiction (ou de son nom savant et contradictoire : le réalisme fantastique), rien n’est déguisé en revanche : c’est cash, même. La peur est plus percutante et il y a toujours cette supposition derrière "avec la science qui avance aujourd’hui, ça pourrait presque arriver". Et justement, ces deux nouvelles sont des cris contre les mauvais usages de la science. 
Et elles font mouche (admirez mon humour, allez, elle est gratuite).
D’ailleurs, George Langelaan dédie la premier nouvelle, La Mouche, à Jean Rostand : GF Flammarion laisse une note complète : « [Jean Rostand] fut un fervent défenseur de la vulgarisation scientifique et mit en garde ses contemporains contre les possibles dangers de la science laissée aux mains d’apprentis sorciers. » P. 33
La couleur est annoncée.

Cette première nouvelle, toutefois, est plus émouvante que réellement effrayante : le fait de connaître l’histoire dans ses grandes lignes a supplanté les effets de surprise… Mais tout de même ! La version de Cronenberg est très différente de cette de George Langelaan et connaître le film n’empêche pas la lecture. Beaucoup d’éléments changent et certains rebondissements viennent frapper.
George Langelaan s’essaie à l’enquête policière de plus, bien que forcément, avec un sujet de science-fiction, la résolution de l’énigme ne sera pas évidente, même si des doutes persistent. Maintenant, est-ce que ce mystère est terrifiant ? Est-ce que la réponse s’avère plus terrifiante encore ? Pas vraiment : j’ai surtout été émue par l’histoire de Robert Browning et de sa femme (qui est bien brave, au passage). C’est même dommage que La Mouche ne soit qu’une nouvelle : il y a une vraie matière à étendre en roman en jouant sur les relations (le narrateur est le frère de Robert Browning et tout porte à croire au début que sa belle-sœur a tué son frère).
Un très bon récit, mais qu’il faut compléter avec La Mouche de Cronenberg : bien plus effroyable et glauque, la dimension "corps malade en évolution" est mis plus en avant (et est plus intéressant).
Je ferme toujours les yeux quand Brundle-Mouche se nourrit, surtout avec cette méthode de consommation.

L’évolution de Brundle, très différente de celle de Robert Browning.
Je préfère Brundle ceci dit, le côté "scientifique timide" est l’origine du geek 
et Jeff Goldblum possède un certain charme.

Pour être honnête, j’ai préféré en fait Temps Mort, la seconde nouvelle : plus longue, elle joue vraiment avec les nerfs du lecteur et George Langelaan nous laisse dans un mystère total, au même titre que son protagoniste Yvon Darnier.
Suite à une expérience du docteur Pierre Martinaud, le militaire Yvon Darnier se réveille dans le laboratoire. Tout semble normal mais les personnes autour sont figées : les corps sont chauds mais aucune respiration, aucun battement de cœur, aucun mouvement… Et ce n’est pas seulement dans le laboratoire, même dans Paris : les horloges sont stoppées, les animaux sont immobiles également, jusqu’au soleil qui a arrêté sa course. Yvon Darnier est seul et il doit comprendre ce qu’il se passe.

« […], tel un nouveau Robinson Crusoé égaré dans le cœur de Paris, capable de voir et de toucher des millions de gens et pourtant complètement seul au monde, sans même un perroquet ou une chèvre, peut-être même sans un seul microbe pour m’aider à tomber malade et à mourir. »
P. 105

Le lecteur nage en plein brouillard et même s’il suit le protagoniste, le sentiment de solitude est contagieux.
J’avoue, cette nouvelle est glaçante et j’étais assez scotchée : tant à cause de l’ambiance que de la conclusion. Ce qui ne retire rien à l’émotion que j’ai ressenti à la fin de ma lecture. En plus, le mystère est maintenu jusqu’au bout et c’est d’autant plus savoureux car il est très ingénieux. 
Une excellente histoire.

C’est même dommage que les autres œuvres de George Langelaan soient si difficiles à trouver car ce recueil presque un coup de cœur et je serais ravie de relire sa plume.
J’ai eu du mal à dormir après tant le malaise était fort durant la lecture, mais pari réussi : j’ai lu de la science-fiction. De la science-fiction terrifiante.
Et par chance, depuis, j’ai dormi.

Grâce à la couverture, je peux valider l’idée n°132 du Challenge des 170 Idées (si, si, regardez bien : la bouteille de spray est à droite) :

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Espion anglais (bien que né en France) mais également journaliste et bien sûr auteur, George Langelaan était bilingue et a écrit la majorité de sa bibliographie en français. La Mouche avait été écrit en français mais aussi en anglais et a été publié la première fois dans la revue Playboy en 1957 sous le titre de The Fly.

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