vendredi 22 mars 2013

Nord et Sud, d'Elizabeth Gaskell,

Après une enfance passée dans un village riant du Hampshire, Margaret Hale, fille de pasteur, s’installe dans une ville du Nord. Témoin des luttes entre ouvriers et patrons, sa conscience sociale s’éveille. John Thornton, propriétaire d’une filature, incarne tout ce qu’elle déteste : l’industrie, l’argent et l’ambition. Malgré une hostilité affichée, John tombera sous son charme.
Quatrième de couverture par Points.
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« - […] Vous ne connaissez pas le Sud, Mr Thornton », conclut-elle, avant de retomber dans un silence délibéré, furieuse contre elle-même d’en avoir trop dit.
« Me permettez-vous de dire que vous ne connaissez pas le Nord ? » fit-il avec une indicible douceur dans le ton. »
P. 132

Il suffit de regarder mes Souvenirs Littéraires pour voir qu’il y a déjà quelques classiques que j’ai dévoré, tel que Basil, tel que Jane Eyre et d’autres encore. Ces récits qui ont survécu à tant de décennies arrivent à m’emporter dans leurs années qui me font rêver. Ces livres sont mieux que des billets de train à mes yeux, mieux que des tickets d’avion quand la plume est capable de me faire voyager. C’est pourquoi je ne m’attendais pas à ressentir une telle déception en terminant Nord et Sud d’Elizabeth Gaskell.

Adaptation par la BBC (voir Quelques anecdotes sur ce bouquin pour plus de détails)

J’ai rapidement abandonné Orgueil et Préjugés tant la romance n’est pas mon domaine de prédilection (malgré mon coup de cœur pour Nid de Gentilhomme de Tourgueniev) et malgré les points communs qui réunissent l’histoire d’Austen et celle de Gaskell, je me suis quand même jetée à l’eau surtout parce que Gaskell semblait traiter davantage des conditions de vie de cette époque, abordant la fameuse confrontation du Nord et du Sud. Or, sans pour autant accuser Elizabeth Gaskell de publicité mensongère, je me suis rendue compte que les informations étaient relativement pauvres et l’atmosphère assez maladroitement installée. Je voulais des détails, des descriptions mais Nord et Sud se contente d’évidences : prenez un natif de Saint-Paul-de-Vence et embarquez-le à Paris, il fera certainement des commentaires sur la vie précipitée de la ville, la pollution de l’air et j’en passe. C’est le même schéma qu’on suit avec la famille Hale qui part de Helstone pour Milton. Quant aux conditions de vie, le récit se montre aussi logique que s’il comparait le quotidien d’une logeuse d’un miteux bâtiment de Whitechapel à celui d’une institutrice travaillant pour une grande famille vivant à Knightsbridge. Les explications s’arrêtent là et je suis restée malheureusement sur ma faim.

Deux photos de Manchester, décor du "Nord" : la première montre St Ann's Square en 1876
la seconde représente le Market Place en 1885.

Bien évidemment, il ne me restait plus qu’à me rabattre sur la romance, ce sujet délicat où je deviens une lectrice particulièrement exigeante. Certains le savent déjà, j’aime quand les portraits des personnages sont mouchetés d’imperfections : des tendances capricieuses, des réactions humaines, des défauts naturels… Or, Margaret Hale semble être une véritable sainte dont l’orgueil inconscient serait, aux yeux de son entourage, le seul point négatif. Elizabeth Gaskell abuse des descriptions sur son physique parfait, du charme qu’opère son héroïne sur ses proches. Pourtant, le roman étant axé assez drame, je ne pense pas que tant de deuils, crises de larme et déceptions forment vraiment un cocktail miracle de beauté. Les moments de faiblesse qu’a Margaret n’en sont pas, sa force de vivre paraît à certains moments improbable et ses réactions insoupçonnées font d’elle une jeune fille beaucoup trop prodigieuse pour être raisonnable. Ses intentions sont certes bonnes et admirables, mais trop de perfection détruit un personnage qui a tant de potentiel.
Alors que d’un autre côté, John Thornton est, quoiqu’un peu trop classique, un personnage particulièrement attachant avec son physique quelque peu ingrat, ses répliques piquantes et ses moments rudes qui contrastent avec ses accès de vulnérabilité. J’ai énormément aimé sa relation avec sa mère qui est forgée dans la confiance et un amour un peu pudique. Par chance, d’autres personnages m’ont conquises, comme les Higgins avec la jeune Bessy (le choc par contre, je l’imaginais avoir 8 ans avant de lire qu’elle en avait 19... Comme elle grandit vite…), Dixon et sans oublier le généreux Mr Bell. Bien que dans le fond, je les ai tous trouvé assez creux, peu travaillés et tombant parfois dans le cliché (j’aimais beaucoup Nicholas Higgins mais à la longue, il me fatiguait presque).

Le Paradis de Margaret de nos jours : à gauche, New Forest, à droite, une maison dans le Hampshire.

Quant à la romance en elle-même, là encore je trouvais qu’elle manquait de réalisme : elle n’est pas progressive, débarquant en quelques phrases seulement, sans compter que j’ai trouvé qu’il ne se passait pas grand chose. J’avais même du mal à comprendre certaines réactions et voir les personnages tourner en rond pendant des centaines et des centaines de pages, c’est assez lassant. Je n’ai pas trouvé cette romance belle, je l’ai trouvé particulièrement frustrante et lente. Je trouvais aussi qu’Elizabeth Gaskell avait trop souvent recourt à des éléments faciles : telle personne se trouve à tel lieu et à tel moment, sans explication, soudainement et permet alors d’enchaîner sans surprise. Au final, le récit est beaucoup trop linéaire sans de vrais retournements de situation. [spoiler] Je pense notamment à ce bout d’enquête où la police suspecte Margaret d’avoir quelque chose à voir avec la mort de Leonards et, simplement grâce à des charmes, Margaret arrive à repousser les doutes du policier Watson. [/spoiler] Forcément, la facilité est plus qu’évidente ici…

Nord et Sud partait vraiment d’un bon pied, les 200 premières pages étaient efficaces, entraînantes, mais peu après, l’histoire tourne sur un même point, avance sans creuser davantage sur des aspects que j’aurai aimé comprendre et se termine beaucoup trop rapidement. J’ai même eu l’impression que les derniers chapitres étaient comme bâclés et ne m’ont pas convaincu.
Nord et Sud est donc une histoire qui m’a déçue, peu émue malgré son contexte et son potentiel. En revanche, pour les lecteurs et lectrices avides de romance innocente et de pavés amoureux, l’aventure devrait être plus efficace qu’avec moi.

Un exemple de mantille en dentelle noire, cadeau que reçoit Margaret d'une certaine femme.
Doña Isabel de Porcel, par Francisco de Goya (vers 1805)
« Mon précepte  moi, c’est : « Fais quelque chose, [Margaret], fais du bien si tu le peux, mais fais quelque chose. »
- Même si c’est du mal ? Demanda Margaret, avec un léger sourire malgré ses larmes. »
P. 391
             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Milton est une ville inventée par Elizabeth Gaskell qui a été inspirée par Manchester où elle a passé une bonne partie de sa vie, plus exactement à Plymouth Grove. Darkshire est aussi une contrée inventée (même si les fans les plus hardis de World of Warcraft me diront le contraire). Il en est de même pour Helstone (un village se nomme effectivement Helstone mais tout au Sud des Cornouailles) bien que cette fois, le Hampshire existe pour de bon.
• Il me reste tout de même encore à voir l’adaptation BBC par Sandy Welch qui réunit Daniela Denby-Ashe et Richard Armitage à l’écran. Je permets juste un petit commentaire sur l’actrice : j’aime l’apparence que dégage Daniela Denby-Ashe (peut-être arrivera-t-elle à me faire aimer Margaret ?) car pour une fois, il ne s’agit pas d’un sac d’os dans une adaptation où les femmes belles sont censées rimer avec femmes assumant de vraies formes. Personnellement, j’ai toujours désapprouvé l’idée des rôles d’Anne Hathaway pour Jane Austen ou encore de Keira Knightley pour Elizabeth Bennet... Ces deux actrices sont maigres comme des autruches déplumées et sont clairement des canons du XXIème siècle. Ça leur ferait si mal de prendre quelques kilos le temps de porter un corset ?

6 commentaires:

  1. J'ai pour ma part eu un coup de coeur pour Nord et Sud. J'ai beaucoup appris sur le nord et le sud de l'angleterre. J'ai aimé le côté religieux mis en avant. Mais je suis une fervente de Jane Austen et une bonne lecture de romances. Cela s'explique peut être. ^^

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    1. Après, c’est vrai que Jane Austen, je n’ai essayé qu’une fois sans grand succès et je n’y ai jamais retouché (un de ces quatre, faudra que j’y pense quand même), mais là, ce n’est pas tant la romance mais vraiment Margaret qui m’a dérangée :/
      Et comme j’avais l’impression que d’autres intrigues se tissaient alors qu'en fait, pas du tout, j'ai été comme frustrée.

      Bon après, c’est peut-être parce que je n’aime que les histoires d’amour qui se terminent mal :B Plus sérieusement parlant, j’ai lu La Bienfaitrice dernièrement dont la trame n’est pas si éloignée de celle de Nord et Sud (jette un œil, ça pourrait te plaire je pense !) mais cette fois, j’ai adoré (et ça se termine bien en plus) ! Je pense que c’est surtout pour le personnage Margaret que ça coinçait en fait…

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  2. Pour les grands classiques de la romance je te conseil Consuelo de George Sand :D C'est LE livre romantique, les auteurs russes de l'époque ont adoré Sand à ce moment en déclarant qu'elle avait même mieux réussie qu'eux! C'est dire :D Pour ce qui est de Nord et Sud je pense que la traduction française est pas terrible (la délicatesse de la langue est perdue), il faut savoir que ça à quand même été édité par Charles Dickens. C'était un roman audacieux à l'époque car les femmes ne parlait pas de choses comme ses glissements de classe social et de cette bourgeoisie qui devenait plus important que la noblesse (c'était tout nouveau en Angleterre - la révolution industrielle, les 'nouveau' riche...)... le but de Gaskell était d'introduire le sujet gentiment à la gente féminine :D

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    1. L’ennui, c’est que je ne suis pas à la recherche de romances (si j’ai aimé Jane Eyre, c’était bien malgré moi par exemple xD), plus le ticket de voyage temporel et Nord et Sud m’avait justement attiré pour son côté sociologue. Même si tu me confirmes qu’Elizabeth Gaskell voulait sensibiliser son public et ses lectrices, je trouve que l’histoire d’amour (qui n’est certainement pas une des plus belles à mes yeux, rien à voir avec celle de Nid de Gentilhomme par exemple) gâche beaucoup et empiète beaucoup trop.
      D'autant plus que j'ai lu d'autres livres se passant à cette époque, je trouve ses informations très pauvres et même évidentes... L'époque victorienne est bien illustrée par la révolution industrielle mais Nord et Sud ne m'a pas appris grand chose à ce niveau (c'est un peu comme regarder Titanic après un bon documentaire).
      Après, si je me souviens bien, la traduction ne m’a pas trop dérangé mais je ne pense pas que Nord et Sud aurait eu plus de succès auprès de moi dans sa version originale x]

      M’enfin, je testerai peut-être un autre Gaskell un jour, mais pas demain !

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  3. J'attendais beaucoup de ce livre pour ma part et je n'ai malheureusement pas pu aller au bout tant il m'a lassée... J'ai également trouvé Margaret peu attachante et à mes yeux, bien trop moralisatrice... Quant à l'adaptation BBC, autant dire qu'elle se concentre quand même pas mal sur la romance présumée entre les deux personnages principaux.

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  4. Je suis également rassurée en lisant ton point de vue qui rejoint le mien... Comme toi, à force de lire des avis élogieux, je pensais être complètement passée à côté !! Mais j'ai l'impression que beaucoup de ces éloges sont le fait de fans inconditionnelles de la série de la BBC, qui ont lu le livre après avoir vu son adaptation...
    Personnellement, je m'attendais à beaucoup plus de profondeur et de descriptions sur le milieu ouvrier... Bref, jusqu'ici, je n'avais jamais été par un classique où tout est toujours plus intense, mais il me fallait bien une première fois !!
    En tout cas, cela a été un plaisir de lire ton billet (et pas seulement parce que je m'y suis reconnue !! ;) )

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