Nul doute que Wilkie Collins n’ait donné avec Sans Nom (1862) l’un de ses plus intraitables chefs-d’œuvre : celui en tout cas qui privera le mieux de sommeil le lecteur assez téméraire pour s’y plonger, pour s’y perdre. De tous ses romans, celui que préférait Dickens.
C’est aussi le plus noir : portrait d’une femme dépossédée de toutes ses espérances (et même de son identité) à la suite d’un complot fomenté par des gens du meilleur monde. Elle se battra, se salira les mains, fera le terrible apprentissage de la liberté... et nous tiendra en haleine huit cents pages durant au fil d’une intrigue qui ne nous épargne rien. Prétexte, pour l'auteur, à décorseter la bonne société victorienne avec un sadisme tout hitchcockien.
On comprend que Borges ait pu voir dans les romans de Collins la première expression de la fiction "moderne" : dont l’enjeu, selon lui, se résumait à peu près à ceci : dire et montrer ce qu’il est convenu de taire et de cacher.
Quatrième de couverture par Phébus libretto.
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« Entre cette femme et le but qu’elle veut atteindre, il n’existe plus qu’un obstacle. Cet obstacle est votre existence. »
P. 612 - 613
Je réservais ce pavé pour les grandes vacances et finalement, une pause d’un an a entrecoupé ma lecture… Avant de la reprendre cet été et d’achever ce thriller victorien.
W. Wilkie Collins avait déjà fait ses preuves à mes yeux dans Basil et j’avais donc envie de voir ce que valaient d’autres romans de ce père du thriller. La différence avec Basil, c’est que Sans Nom est moins sanglant, plus réfléchi mais tout aussi intense ! Les notions de droit prouvent que Collins a mené ses études avec un certain brio et il les utilise pour nous offrir un complot très original sans pour autant assommer ou perdre le lecteur.
Ce n’est pas une enquête, c’est une longue partie d’échec entre Magdalen Vanstone et une redoutable ennemie, Virginie Lecount. Les Wragge viendront se ranger du côté de Magdalen et pimenteront le jeu. Noël Vanstone, Norah Vanstone, Miss Harriet Garth et d’autres seront de la partie, compliquant le récit et multipliant les rebondissements.
Pour rester un peu sur les personnages, j’ai eu un coup de cœur pour Frank Clare Senior, un personnage secondaire (quel dommage !) aigri et sévère mais adorable… à sa manière.
Le roman est quand même entrecoupé de quelques passages un peu lents… Mais une grande majorité se dévore avec rapidité. Pour être franche, seule la conclusion m’a vraiment pesée : s’étalant sur plusieurs cinquantaine de pages, abréger un peu cette fin n’aurait pas fait de mal, je pense.
Mais enfin, Sans Nom est tout de même ponctué par des passages épistolaires habilement menés et la narration est donc variée, captivant le lecteur.
« La conservation durable d’un secret est un miracle que le monde n’a encore jamais connu. »
P. 41
Il est toutefois nettement moins sanglant et j’avoue que cette absence de violence m’a déçue (Du sang ! Du sang ! Du sang !) car elle annule les promesses haletantes du résumé de Phébus : Basil avait cette once de violence froide et entraînait alors le lecteur dans le crime physique. Ici, seuls les artifices viennent bafouer la loi et je me rends compte que le roman n’est finalement pas si sombre que ça., me fascinant, certes, mais sans provoquer la moindre sueur froide. À part peut-être cette scène d’escapade nocturne à St Crux-in-the-Marsh où le manoir entier est plongé dans le noir et que Magdalen guette une présence.
Mais enfin, cette absence est assez dommage…
« Je n’ai pas la prétention de voir clair dans l’issue finale du combat que le Bien et le Mal se livrent en elle... Je vous avertis seulement que son avenir ne sera pas celui de tout le monde. »
P. 184
Quant à l’écriture, j’admire encore une fois l’aisance de la plume de Collins. Certes, il y a toujours cette lourdeur des vieux romans mais ça n’empêche pas le talent et la qualité de la trame ! Les ambiances sont prenantes et les personnages conservent un charisme certain sans avoir besoin de pages entières de descriptions. C’est d’ailleurs un des avantages de ce Collins : c’est peut-être un classique, il n’assomme pas avec trop de descriptions (même si j’adore ça, pour ma part).
Au final, je suis ravie de Sans Nom et je pense me jeter sur deux ou trois autres romans de cet auteur, notamment ceux qui ont connu un franc succès, c’est-à-dire Pierre de Lune et La Femme en Blanc.
Elle se remarque à peine, mais une brindille d’herbe se trouve dans la main du modèle pour le tableau de Whistler, cette chronique peut donc valider donc l’idée n°64 du Challenge des 170 Idées :
Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Sans Nom n’a fait l’objet d’aucune adaptation télévisée (la BBC manque à son devoir !), mais a été mis en scène au théâtre en 2014, bien que des pièces avaient déjà été écrites à l’époque de Collins mais elles n’ont jamais été jouées.
L'univers de Wilkie Collins me tente beaucoup ! Merci pour ce chouette billet :)
RépondreSupprimerAprès, je n’ai pas lu ses plus populaires comme Pierre de Lune ou La Dame en Blanc, mais les deux que j’ai essayés, Sans Nom et Basil, sont deux merveilles de thrillers victoriens, j’espère que tu seras aussi enchantée que moi :)
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