dimanche 10 septembre 2017

Passion et Repentir, de W. Wilkie Collins,

Sur le front franco-allemand, pendant la guerre de 1870, le hasard réunit deux jeunes Anglaises. Lorsqu’un obus frappe l’une d’elles, l’autre décide aussitôt d’usurper son identité pour rompre avec un passé infamant et vivre enfin une vie meilleure. Mais, très vite, les événements vont prendre un tour inattendu…
On peut faire confiance au génial Collins, rival et ami de Dickens, pour nous concocter une nouvelle fois un suspense diabolique et mettre à vif les nerfs de ses lecteurs. Ce féministe convaincu nous donne ici un de ses plus beaux portraits de femmes : celui de Mercy, pécheresse repentie et amoureuse, confrontée à toutes les bassesses et hypocrisies de la bonne société victorienne, mais qui finit néanmoins par accepter les plus durs sacrifices pour faire triompher le bon droit et la vérité.
Quatrième de couverture par Libretto.
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Avec ce titre digne d’un classique de la collection Harlequin, dur de croire que Passion et Repentir a été écrit par le pionnier du thriller Wilkie Collins, d’autant plus qu’il n’a rien à voir avec le titre en version originale. Mais le choix du traducteur n’est pas totalement injustifié : si Passion et Repentir n’est pas une romance qui pourrait se glisser dans la bibliographie de Nora Roberts, c’est vrai que la douceur et la brièveté de cette histoire surprennent quand on connaît quelques œuvres du juriste Collins.

Effectivement, avec ses études de droit, on sent que Collins ressort quelques cours et notions dans ses romans comme dans Sans Nom. Ici, les lois sont moins décortiquées et c’est la morale qui est mise en avant : Mercy Merrick est une femme noble dans l’âme mais pas dans la condition, son passé souillé (il en fallait peu à l’époque, ceci dit, pour être souillée… Genre, vivre dans un orphelinat ou un foyer) lui rend la vie dure et la jeune femme profite d’un coup du sort pour se hisser dans la société. Est-elle vraiment bien intentionnée ou est-ce seulement par égoïsme que Mercy Merrick prend le nom de Grace Roseberry ?
L’auteur fait surtout de Passion et Repentir un roman socialiste et révèle le caractère des personnes en ignorant leur rang social : les plus démunis, les pauvres des plus basses extractions peuvent briller par leur bonté, leur fierté tandis que les plus riches peuvent être mesquins, vulgaires… Mais si je comprends l’intention de Wilkie Collins en prenant en compte l’époque où ce message pouvait plus chambouler qu’aujourd’hui, l’auteur tombe malheureusement dans un piège que je ne pardonne pas : le manichéisme. Tout est soit tout noir, soit tout blanc au fur et à mesure que la lecture avance et le message perd en valeurs.

Par chance, les personnages sont plutôt agréables, avec une grande préférence pour Lady Janet qui ne manque décidément pas de piquant et ce dès le début :
« – Ma table n’est pas celle du club, fit-elle observer. Redressez la tête. Cessez de contempler votre fourchette – regardez-moi. Je ne permets à personne d’être démoralisé dans ma demeure. Je considère que c’est désobligeant pour moi. Si la vie paisible que nous menons ici ne vous convient pas, dites-le franchement et trouvez-vous autre chose à faire. Je suppose que ce ne sont pas les emplois qui manquent, pour peu que vous y postuliez ? Inutile de sourire. Je ne veux pas voir vos dents, je veux une réponse. »
P. 68

Mais c’est la seule qui possède vraiment un relief psychologique, quant au reste, il faudra surtout se concentrer sur les relations et les rebondissements. C’est ce qui fait la force du roman d’ailleurs : les rebondissements et le suspense. Wilkie Collins joue avec les nerfs de ses lecteurs et on a hâte de voir comment cette histoire va se conclure.

Pressés par l’intensité, les lecteurs risquent de tourner les pages à toute allure malgré quelques moments de mou où on en peut plus. Bien que ce soit un roman du XIXème, il est très facile à lire, Passion et Repentir pourrait même être une pièce de théâtre.


Pas mon Wilkie Collins préféré, loin de là, mais un roman agréable et qui se lit rapidement. Au moins, Passion et Repentir défendait les petites gens à une époque où une condition éclipsait les qualités d’une personne, bien plus qu’aujourd’hui.

Grâce à la couverture, je peux valider l’idée 18 du Challenge des 170 Idées :

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• C’est toutefois dommage que le titre Passion et Repentir ne fasse pas honneur au titre original The New Magdalen, car Magdalen est la version anglicisée de Madeleine, faisant référence à Marie Madeleine qui est évoquée à plusieurs moments. Le titre original renforce l’intention de l’auteur quand le titre français appuie le côté sentimental et la morale.


mardi 5 septembre 2017

Nous avons toujours vécu au château, de Shirley Jackson,

« Je m’appelle Mary Katherine Blackwood. J’ai dix-huit ans, et je vis avec ma sœur, Constance. J’ai souvent pensé qu’avec un peu de chance, j’aurais pu naître loup-garou, car à ma main droite comme à la gauche, l’index est aussi long que le majeur, mais j’ai dû me contenter de ce que j’avais. Je n’aime pas me laver, je n’aime pas les chiens, et je n’aime pas le bruit. J’aime bien ma sœur Constance, et Richard Plantegenêt, et l’amanite phalloïde, le champignon qu’on appelle le calice de la mort. Tous les autres membres de ma famille sont décédés. »
Quatrième de couverture par Rivages (Noir).
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Adorée par Stephen King, Shirley Jackson compte quelques œuvres qui mêlent malaise, horreur et fantastique. J’ai pris Nous avons toujours vécu au château un peu au hasard : le titre et la couverture m’ont guidée mais en étudiant mieux la bibliographie de l’auteure, j’aurais peut-être opté pour un autre titre.
Ceci dit, cela reste sans regrets car j’ai lu ce court roman très étrange et j’ai été conquise ! Je lirai donc sans faute un autre roman de cette auteure américaine afin de découvrir davantage son univers, car cette première lecture est couronnée de succès. Le seul détail, c’est que ce roman n’est pas classé fantastique, ou plutôt, la narration en donne l’illusion.

Je ne cache pas que le premier chapitre était laborieux : on plonge dans l’univers de Mary Katherine, surnommée Merricat, une jeune femme emplie de haine pour les étrangers et aux comportements régis par des formules magiques. Difficile de suivre ce bout de femme un peu sorcière dès l’entrée d’un livre comme ça… D’autant plus que la magie est imaginaire : ni sort aveuglant, ni ensorcellement, pas même l’ombre d’un fantôme. Les sœurs Blackwood sont adeptes des potions à base d’herbes du jardin, grigris et pensées magiques, façon "sorcière blanche". Leur univers est étrange mais séduisant. Imaginez la famille Adams (beaucoup) moins nombreuse et avec plus de couleurs, moins gothique et plus proche de la nature : c’est la famille Blackwood.

Une fois approchées, les deux sœurs deviennent vraiment intéressantes et le mystère qui les entoure se dissipera ([spoiler] même si j’avais compris que c’était la jeune Merricat qui avait empoisonné toute la famille, mes lectures d’Agatha Christie ont fini par aiguiser mon instinct, ahah [/fin du spoiler]). Le lecteur n’est pas pour autant invité dans leur monde étrange : on reste sur le seuil de ce roman qui donnera naissance, à la fin, à une légende urbaine. Des détails échappent encore et il faut accepter que nous ne connaîtrons pas tout des sœurs Blackwood. Quand on referme le livre, le mystère se referme sur les deux sœurs.
Tant qu’on renonce à la logique et aux descriptions interminables qui installent le décor, Nous avons toujours vécu au château peut séduire malgré ses non-dits et ses secrets !

Une lecture originale et pleine de poésie macabre, narrée par un esprit sauvage et libre, inquiétant pour son ignorance des règles, attachante pour l’amour débordant qu’elle ressent pour sa sœur et son univers. Un roman vraiment sympathique que je conseille, mais seulement aux plus patients.

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Ça n’a rien à voir, mais je suis perturbée par le château de la couverture qui ressemble énormément au manoir dans Black Mirror… J’aimerais voir le vrai château, il a dû inspirer celui du jeu d’enquête.

En plus glauque, d’accord... Mais quand même !


samedi 2 septembre 2017

Life is Strange : Before the Storm, Épisode 1 Éveille-toi,

Life is Strange: Before the Storm est un jeu d’aventure où vous incarnez Chloe Price, une adolescente de 16 ans en pleine rébellion qui noue une amitié inattendue avec Rachel Amber, belle, populaire, et promise à un avenir radieux. Lorsqu’un secret de famille plonge l’univers de Rachel dans le chaos, leur nouvelle amitié leur donnera la force de faire face à leurs démons.
Quatrième de couverture par le site officiel.
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En sachant qu’une "suite" allait compléter l’aventure Life is Strange sous le titre de Before the Storm, je me suis jetée de nouveau sur ce jeu qui avait bercé mon automne il y a deux ans afin de me rafraîchir la mémoire.
Life is Strange avait été une vraie surprise qui réunissait beaucoup de qualités : un design original, une histoire émouvante, un gameplay unique basé sur le voyage temporel… De plus, le cadre scolaire et la légère note de science-fiction avaient séduit un grand nombre de joueurs. Sans oublier les personnages, notamment la punk Chloe Price. Qui n’avait pas réussi à m’émouvoir, ceci dit...


Chloe Price partage pas mal la scène avec son amie d’enfance Max Caufield dans le premier opus, mais si la petite nerd timide avait réussi à me charmer (selon les choix, Max gagne beaucoup en complexité), sa pote aux cheveux bleus limite drama queen me tapait sur les nerfs. Le fait que Before the Storm soit du point de vue de Chloe quelques années avant Life is Strange me laissait donc indifférente.
Mais là, j’avoue, je redécouvre le personnage ! L’incarner donne un vrai sentiment de liberté : Chloe s’en fout, Chloe détruit tout et à travers elle, on peut pendant quelques heures de jeu se moquer éperdument de toutes les règles. Tenir tête au principal du lycée, frapper du punk bourré, voler, insulter… Si la tornade dans Life is Strange était réelle, celle de Before the Storm est imagée mais cela ne l’empêche pas de bouillir chez l’adolescente.


Ce cadre qui réunit drogues, concerts dans des lieux miteux, tags salaces et adolescence tourmentée fait que Before the Storm offre une toute autre ambiance que celle de Life is Strange ! Max Caufield, introvertie, effacée mais portée sur l’art photographique, observait avec un œil doux et songeur : le jeu relaxait avec ce beau crépuscule et ces musiques indie.
Mais dans Before the Storm, au revoir les biches et polaroid vintage, place aux corbeaux, bouteilles de bière, nuits étoilées et déchetteries ! La playlist n’est pas violente, c’est du punk-rock accessible à tous, mais cela suffit pour apporter un nouveau ton. Ce qui justifie la prévention "interdit aux moins de 16 ans", ce n’est pas à cause de la musique, on n’entend ni The Distillers, ni Cannibal Corpse, c’est plutôt à cause des sujets abordés : la drogue n’est pas censurée, les gros-mots sont aussi nombreux que les bulles d’une bière bien fraîche, le sexe et la sexualité sont abordés sans tabou (petite référence à la masturbation d’ailleurs sans aucun fard).
Si Before the Storm se passe trois avant Life is Strange, le jeu semble curieusement plus mature.


Jusque-là, la trame "adolescence difficile" se reconnaît : Chloe Price, tourmentée par un sentiment d’abandon, rencontre Rachel Amber (que j’avais hâte de rencontrer et que j’ai maintenant hâte de connaître) et une connexion rapproche les deux jeunes filles dans les aléas horribles auxquels on fait face quand on a 16 ans. Qu’en est-il alors du côté science-fiction qu’apportait Max en contrôlant le temps ? C’est encore trop tôt pour se prononcer : Éveille-toi n’accueille ni animal totem, ni pouvoir surnaturel, ni rêve prémonitoire… pour l’instant. Maintenant, allez savoir : il y a encore deux chapitres pour découvrir un phénomène ou un don.


Ce que je retiens d’Éveille-toi, c’est que ce premier chapitre a réussi à me réconcilier avec la tête brûlée qu’est Chloe Price et confirme le talent des scénaristes pour les dialogues. Le rythme pourra sembler un peu long tout d’abord mais la fin promet de beaux rebondissements, surtout quand on s’attache à ce duo mythique que formaient Rachel et Chloe. , c’est simple : Life is Strange m’avait tiré quelques larmes à partir du chapitre 4 Dark Room, Before the Storm m’a émue dès la fin du premier chapitre. Donc c’est sûr : la sauce prend !
De plus, la beauté est toujours au rendez-vous, alors que demander de plus ?

Comme pour Life is Strange, Before the Storm impose une multitude de choix, vous pouvez comparer ce que vous avez fait dans votre partie avec la mienne (et bien sûr, pas de lecture avant d’y jouer au risque de vous spoiler !) :

             Quelques anecdotes sur ce jeu,
Life is Strange est un jeu en cinq chapitres, sa préquelle Before the Storm est prévue en trois épisodes.
Life is Strange : Before the Storm apporte du changement ! Les développeurs ne sont plus les mêmes : on passe des mains de Dontnod à celles de Deck Nine Games. De plus, si on retrouve beaucoup de personnages du premier Life is Strange, aucun doubleur ne revient pour leur rôle.
• Il va de soi qu’il vaut mieux jouer à Life is Strange d’abord : non pas qu’il y ait une connexion vraiment directe, surtout dans ce premier chapitre, mais Éveille-toi est bourré de références et vous dompterez mieux le jeu en connaissant l’univers. Ma chronique du premier chapitre de Life is Strange ici !
• Tous les screens de cette chronique appartiennent à ma partie.


Avec affection !