jeudi 23 janvier 2014

Un Certain Dr Watson, de David Stuart Davies,

Médecin militaire en Afghanistan en 1880, John Walker fuit l’horreur des combats pour se réfugier dans l’alcool. Déshonoré, il est chassé de l’armée et renvoyé en Angleterre. Lors du voyage de retour, il tombe entre les mains d’un mystérieux réseau aux activités troubles. Il découvre bientôt que le chef en est le professeur Moriarty, qui le rebaptise Watson et lui confie la mission d’espionner un jeune détective dont la réputation ne cesse de croître à Londres, Sherlock Holmes.
Mais Watson et Holmes se lient bientôt d’amitié et le docteur s’efforce alors de se défaire de l’emprise de Moriarty. Une entreprise mortelle…
Quatrième de couverture par Fetjaine
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« — […] Avec des capacités intellectuelles telles que les miennes, j’ai constamment besoin de défis, de situations stimulantes qui me fassent envie. Que l’on me donne des dangers, que l’on me donne des risques, que l’on me donne une énigme, et me voilà dans mon élément. »
P. 73

De nombreux auteurs ont déjà pris au sérieux les propos de Watson dans Le Signe des Quatre lorsqu’il songe que Sherlock Holmes, si il était au service du crime, serait un délinquant redoutable, remaniant ces pensées afin de créer un pastiche où le fameux détective devient alors un Moriarty moins chauve.
Mais concernant Watson ? Ridiculisé, rabaissé, sous-estimé, le pauvre médecin a été recyclé le plus souvent en fanboy tout juste bon à admirer et retranscrire les aventures de son colocataire. J’applaudis donc l’audace de David Stuart Davies qui a attribué un rôle plus morbide au bon médecin militaire, un rôle très original qui donne tout de suite de l’attrait à son roman.

L’auteur accompagné de deux énergumènes. Deux énergumènes très aimés, cela dit.
[source]

Malgré cette particularité, les personnages du Canon sont quand même fidèlement repris, aussi surprenant que cela puisse paraître ! On a même un côté moins romanesque : le récit étant divisé entre le journal de Watson et la narration, Davies ne se gêne pas de retranscrire les nombreux coups que peut se recevoir Holmes, héhé. Plus sérieusement, Davies dote le détective de son côté humain qui fait le charme de quelques nouvelles du canon, partage des moments plus bateaux au 221B Baker Street comme le faisait si bien la série Granada. [spoiler sexué et Harry Potterien] N’étant pas lié par le langue censurée de 1880, Davies va même jusqu’à retranscrire une conversation entre Watson et Holmes concernant le sexe. Car on se demande tous si Severus Snape/Rogue est mort puceau, mais quand est-il de Holmes ? Réponse dans le pastiche. [/fin du spoiler sexué et Harry Potterien]
Mais le plus beau ici, c’est que Un certain Dr Watson est plutôt un pastiche Watsonien ! Walker, rebaptisé Watson, est plus ou moins le personnage central de ce roman et ça fait plaisir. Car même si j’apprécie (un peu trop) Sherlock Holmes, j’ai horreur quand on oublie Watson.
D’ailleurs, entre parenthèses, j’ai toujours trouvé discriminant que, pour la série BBC, on appelle Sherlock par son prénom mais John par son nom de famille… Sherlock et John, c’est pas compliqué, pourtant.
Pour en revenir à Un Certain Dr Watson, notre cher médecin possède donc une histoire complète, un caractère plus illustré. J’ai juste regretté que Davies ne mentionne pas une seule fois son frère défunt.
Quant aux autres personnages, l’ensemble est très correct même si j’ai trouvé Moriarty un peu trop "vilain", façon Docteur Mad dans Inspecteur Gadget : et ça ricane, et ça complote, et ça rage en montrant les dents… Bref, une once de caricature du méchant qui fait pas tellement sérieux. [spoiler sur un allié de Moriarty] Par contre, Mycroft, je me suis carrément arrachée les cheveux. À la solde de Moriarty ?! Où est l’intérêt ? Quelle est la conclusion de cette étrange alliance ? [/fin du spoiler sur un allié de Moriarty]


J’ai été moins charmée par la qualité de récit par contre : je m’attendais à un Watson plus lugubre, des situations plus sordides mais on reste en fait très proche du Canon. Un peu trop, même car Une Étude en Rouge est trop longuement repris sur une bonne trentaine de pages. Il y a bien sûr quelques entorses qui innovent mais entre L’Interprète Grec, Le Signe des Quatre, Une Étude en Rouge et Le Problème Final, il y a beaucoup trop de références qui occupent bien une cinquantaine de pages au total. Bref, un pastiche qui a trop ce côté lexique au lieu de se contenter de clins d’œil.
De plus, Un Certain Dr Watson est un pastiche qui n’a pas d’enquête propre comme pour A Discreet Investigation dans My Dearest Holmes par exemple, les nouvelles des Vacances de Sherlock Holmes ou La Suffragette Amoureuse, La Maison de Soie et j’en passe, j’en passe ! Je range donc plutôt ce livre dans un genre d’espionnage très léger plutôt qu’un policier ou un thriller.
Quant au style, il n’est pas spectaculaire mais pas déplaisant non plus. Ce qui m’a réellement dérangé, c’est la qualité d’impression de la maison d’édition Fetjaine : il y a des tirets qui manquent à l’appel (donc des dialogues perturbés), des erreurs de typographie, des passages de journal un coup en italique, un coup en simple, une traduction assez étrange à certains moments. Bref, lecture laborieuse à cause de ces nombreux défauts ce qui est assez dommage.

Il y a un je-ne-sais-quoi des couvertures que j'adore. Un côté un peu film d'horreur des années 1960.

Bien que séduite au début, je suis assez mitigée à cause de nombreux points. On reconnaît l’esprit holmésien, on partage l’amour de Davies mais son pastiche n’apporte pas grand-chose : je regrette l’absence d’une nouvelle énigme, le manque d’éléments vraiment originaux avec pourtant un point de départ vraiment intéressant. Cela dit, comme David Stuart Davies a écrit un autre roman, Le Livre des Morts, il est très probable que je pense me laisser tenter.
Un pastiche à lire mais certainement pas le meilleur comme dit par Classics Specialities (et on ne dit pas sherlockien mais holmésien.).

Comme il y a le plan de Londres en arrière-plan sur la couverture, je peux rattacher Un Certain Dr Watson à l’idée 96 du Challenge des 170 Idées :

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Il se trouve que David Stuart Davies était un ami de Jeremy Brett, un des interprètes les plus connus de Sherlock Holmes, et également son biographe.
• À la page 197, il y a une référence à Alphonse Bertillon et sa méthode de bertillonnage qui consiste à photographier et prendre note du physique des délinquants et ainsi traquer plus facilement les récidivistes quand les témoins fournissent des descriptions similaires aux données de la police.
• Fetjaine n’a pas (encore ?) édité toutes Les Nouvelles Enquêtes de Sherlock Holmes, série qui ne compte pas moins de 16 livres avec les participations de David Stuart Davies, Sam Siciliano, Barrie Roberts, Loren D. Estleman, William Seil et bien d'autres !

1 commentaire:

  1. On partage un peu le même avis donc, cependant, comme toi, je me laisserais bien tenter par les autres pastiches holmesiens de l'auteur car si certains points d'Un certain Dr Watson m'avaient déplu, j'ai bien aimé ce roman, assez pour tenter les autres pastiches de l'auteur dont j'avais beaucoup aimé la caractérisation de Watson, comme pour beaucoup de lecteurs d'ailleurs. Ça fait du bien de voir, dans les œuvres de fiction récentes, Watson représenté à sa juste valeur, on l'a souvent sous-estimé et rabaissé (rabaissé je dis ? je voulais dire jeté dans la boue, écrasé, humilié, dénaturé, torturé et j'en passe des meilleures !) par le passé ce cher garçon, et plus qu'une fan de Holmes, je suis une fan de Watson devant l’Éternel ! (ai d'ailleurs BEAUCOUP aimé ce pseudo que tu as attribué à Watson alias Dr Badass, haha, c'est vrai en même temps, Hastings à côté fait pâle figure)

    Je ne m'attarderai pas sur tous les points de ton avis car on partage le même, cependant j'ai regretté comme toi que l'auteur n'ait pas crée une nouvelle énigme au lieu de reprendre à chaque fois celles du canon. Quitte à faire de Watson un espion à la botte de Moriarty, l'auteur aurait pu intégrer dans les aventures qu'il a reprises du canon de nouveaux éléments, d'autant plus qu'il a su écrire un Watson plus "sombre" et travaillant pour Moriarty sans se casser la figure.

    Je vais conclure ce commentaire en te disant à quel point j'ai ri en lisant ton avis sur le Moriarty du roman, façon Docteur Mad dans Inspecteur Gadget, j'ai adoré, merci pour le fou rire :D

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