jeudi 16 juin 2016

L'Été de Cristal, de Philip Kerr,

Ancien policier, Bernie Gunther, trente-huit ans, est devenu détective privé, spécialisé dans la recherche des personnes disparues. Et on disparaît beaucoup, à Berlin, en cet été 1936 où les S.A., à la veille des Jeux Olympiques, se chargent, à leur manière, de rendre la ville « accueillante » aux touristes. C’est pourtant une autre mission que lui propose Hermann Six : ce dernier ne cherche pas sa fille, assassinée chez elle, mais des bijoux disparus. Bernie se met en chasse. Et cet été-là, l'ordre nouveau qui règne sur l’Allemagne va se révéler à lui, faisant voler en éclats le peu d’illusions qui lui restent...
Quatrième de couverture par Audiolib.
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Popularisé surtout au cinéma, le genre noir a beaucoup servi dans la littérature policière. Parmi les figures populaires, on retrouve toujours ce décor dans les rues new-yorkaises pleines de brume et de vices, les lumières artificielles qui créent des ombres chinoises et le flic (voire ex-flic) qui accumule les péchés comme le pire des criminels, traînant aussi bien dans l’alcool que dans une femme.
Les romans noirs ne m’ont jamais beaucoup fascinée malgré mon point faible pour les héros désabusés. Les clichés de la femme fatale, les courses-poursuites dans la nuit noire et les parfums de whisky m’attirent moins que les enquêteurs avec des hauts-de-forme, les victimes en corsets et le fog qui plane au-dessus de la Tamise.

Mais ici, y a un plus intéressant : le contexte des années 30 qui se concentre sur la montée du nazisme, cette angoisse qui précède l’ascension d’Hitler et la pression de la guerre prête à éclater, toute cette période historique où les disparitions étaient nombreuses et où les corruptions et trahisons circulaient, la nature humaine étant à son stade le plus vil pour mieux survivre.
Forcément, la fameuse Trilogie Berlinoise de Philip Kerr, auteur écossais qui manie aussi la plume pour les enfants, possédait d’autres atouts.

Portrait de l’auteur.

Le premier grand point positif, c’est que Philip Kerr exploite très bien ce contexte historique : on bascule même dans la période avant la Seconde Guerre Mondiale et les lecteurs néophytes comme moi pourraient apprendre bien des choses (même des mots allemands) concernant cette décennie qu’on ignore un peu trop souvent.
À l’instar des romans qui se passent pendant la guerre, L’Été de Cristal possède cette ambiance oppressante et capable d’émouvoir à cause de sa réalité : les disparitions, les exécutions secrètes… Si le roman de Kerr est fictif et (la majorité de) ses personnages aussi, les drames de ces années sont bien réels et le lecteur s’en retrouve vite ému.
Petit détail en plus : l’histoire se déroule en Allemagne. En 1936, les allemands sont les "seuls" et "premiers" à souffrir de ce nazisme qui gagne de plus en plus d’adeptes : si les échos dans les pays étrangers font froid dans le dos, les berlinois et leurs compatriotes sont les premiers à assister à cette naissance et le choix de l’année et du pays est donc une excellente idée.

Cette fameuse photo de 1936 où une personne ne fait pas le salut nazi avec le reste de la foule.

Ce support historique fait que j’ai eu de nombreux petits pincements au cœur : certes, Bernhard Gunther (Bernie pour les intimes) n’est pas devenu mon enquêteur favori et je le trouve un peu trop emprisonné dans l’image du détective privé cynique, mais les rencontres et les destins de chacun sont pour le moins pimentés et certains drames retournent l’estomac.
Petite mention pour la demoiselle Inge d’ailleurs, personnage classique dans son genre mais efficace, je m’y suis attachée à mon grand dam.

Quant à l’enquête, elle est sympathique et intrigante : les fausses-pistes sont nombreuses, les suspects sont à la pelle et la fin est habilement amenée avec beaucoup de noirceur. Et bizarrement, malgré tout le côté sombre et sale que sert Philip Kerr, l’auteur est doué pour adopter un ton humoristique et les dialogues claquent, j’ai souri plus d’une fois.

En conclusion, un très bon roman noir avec un style désabusé qui correspond au protagoniste. De plus, la voix de Julien Chatelet donne une âme à Bernie et le ton est bien donné grâce à cette narration très bien choisie.
Je ne finirai peut-être pas la série car ce n’est pas pour autant mon genre, mais pour les amateurs d’Histoire et curieux d’enquêtes glauques, ce roman noir pourrait plaire !


             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Le titre original est March Violet, un titre qui est plus adéquat quand on pense à l’anecdote qu’il y a derrière : les Violettes de Mars font référence aux fleurs violettes qui fleurissent en grand nombre en Mars… comme les cartes des adhérents au parti nazi : quand les allemands ont constaté que le mouvement gagnait de l’ampleur, beaucoup ont pris leur carte in extremis et étaient vus comme des "arrivistes". Un peu à la mode hipster, c’était bien en 1936 de dire « j’avais ma carte du parti nazi avant tout le monde ». En allemand, ce petit surnom moqueur est Märzveilchen.
La Trilogie Berlinoise est une intégrale qui réunit L’Été de Cristal, La Pâle Figure et Un Requiem Allemand, mais les aventures de Bernhard Gunther ne s’arrêtent pas là et continuent sur sept autres tomes, avec un huitième tout neuf qui vient de sortir.



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