mardi 24 octobre 2017

Retour à Whitechapel, de Michel Moatti,

Amelia Pritlowe est infirmière au London Hospital et tente de survivre aux bombardements de l’armée allemande. Lorsqu’elle reçoit une lettre posthume de son père, elle n’imagine pas qu’elle va devoir affronter un cataclysme personnel : ce dernier lui apprend que sa mère, Mary Jane Kelly, a été la dernière victime de Jack l’Éventreur. Mue par une incommensurable soif de vengeance, l’infirmière va se lancer dans une traque acharnée pour retrouver le plus mystérieux des tueurs en série.
Par le biais d’un roman d’atmosphère captivant et richement documenté, Michel Moatti propose une solution inédite à l’énigme postée en 1888 : qui était Jack l’Éventreur ?
Quatrième de couverture par 10|18, Grands détectives.
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Si je suis vivement intéressée par les ouvrages sur Jack l’Éventreur (ou Jack the Ripper pour rester dans l’esprit british), j’avoue que j’ai lu peu de fictions autour de ce mystère alors qu’elles sont nombreuses ! Mais si l’année 1888 a nourri beaucoup de fantasmes, certains sont mal exécutés, voire kitsch et exagérés (si c’est possible…).
Retour à Whitechapel, malgré sa couverture très séduisante, me refroidissait un peu à cause de sa "double" narration divisée entre deux époques sordides. Plus que ça, j’ai cru que le criminel abordé dans Retour à Whitechapel était une sorte de copycat (ceux qui reproduisent les crimes d’un autre).
À force de lire de bonnes critiques sur ce roman de Michel Moatti (et la confirmation qu’il s’agissait d’une enquête sur Jack l’Éventreur et non une imitation), je me suis enfin décidée et c’est sans aucun regret !

Un phénomène appelé
"phossy jaw" en Angleterre.
Alors oui, le sujet a été souvent traité en littérature, et pourtant, Retour à Whitechapel se démarque grâce à plusieurs points qui deviennent des qualités vraiment appréciées.
Déjà, la place qu’occupent les recherches menées par Moatti : quand certains se contentent des dates et des noms des victimes comme seuls repères réels, l’auteur va jusqu’à inclure des extraits de journaux et de documents officiels. L’immersion est donc totale, aidée par une atmosphère soignée.
Il y a un véritable recul historique dans Retour à Whitechapel, amenant à réfléchir sur cette fameuse année : si Jack l’Éventreur est connu pour avoir défiguré la plupart de ses victimes, il faut savoir qu’on pouvait rencontrer des visages sans lèvres et sans nez dans les quartiers les plus misérables (et vivants en plus de ça). Les chapeliers respiraient et manipulaient du mercure toute la journée, les cotonniers inhalaient du coton et mouraient jeunes, les poumons remplis de fibres de coton ou encore les allumettières qui, au contact du phosphore, perdaient lèvres, dents… Finalement, comme l’écrit Michel Moatti : la révolution industrielle n’a-t-elle pas causé plus de dégâts qu’un "simple homme" ?

On peut trouver la photo du
corps de Mary Jane Kelly sur
internet sans difficulté ou pudeur.
La qualité nest pas optimale,
mais elle est pourtant authentique.
Étrange de considérer Jack l’Éventreur comme un "simple homme" et pourtant, il est peu probable qu’il soit un démon sorti des enfers ou un vampire : Jack l’Éventreur est l’identité macabre d’un tueur fait de chair et de sang. Michel Moatti joue intelligemment avec ce fantasme, car une fois le nom est révélé, le coupable reprend son véritable nom et n’est plus "Jack l’Éventreur".
D’autres personnes retrouvent leur humanité dans Retour à Whitechapel et j’en ai été émue : les victimes. Mary Ann Nichols, Annie Chapman, Elizabeth Stride, Catherine Eddowes et Mary Jane Kelly sont des noms de femmes, c’étaient des femmes démunies condamnées à vivre à Whitechapel et à se vendre. Nous ne savons quasiment rien d’elles si ce n’est leur nom, la date de leur mort et les rapports d’autopsie. Aujourd’hui, on peut parler de Jack l’Éventreur avec beaucoup d’emphase jusqu’à oublier qu’il a au moins cinq victimes, cinq êtres humains doués d’émotions et possédant une histoire, aussi misérable soit-elle, et Michel Moatti fait un rappel à l’ordre de ce détachement presque cruel.

Ce roman est intelligent : au-delà de l’enquête et de la théorie partagée par Michel Moatti (qui est plus que plausible, j’ai été convaincue au passage), Retour à Whitechapel est humain, intelligent et apporte un autre regard sur cette série de crimes de 1888.

Les côtés historiques et juridiques sont donc deux points vraiment forts de ce roman, mais qu’en est-il du domaine littéraire ? Car Retour à Whitechapel est bel et bien un roman, très documenté, mais roman quand même.
Là encore, j’ai apprécié l’originalité du personnage : Amelia Pritlowe est une infirmière qui affronte les temps obscurs de la seconde Guerre Mondiale. Comme si la situation n’était pas déjà assez éprouvante, elle apprend qu’elle est la fille de la dernière victime de Jack l’Éventreur, la fille de Mary Jane Kelly. Amelia est donc une femme d’une cinquantaine d’années (oh bonheur ! j’aime quand le personnage principal n’a pas 15-20 ans) qui doit intégrer les cercles qui tentent d’éclaircir le mystère de Jack, groupes qui n’accueillaient pas le beau sexe soit dit en passant. Il y a donc une trame où Amelia, afin de découvrir qui a tué sa mère, doit mener sa propre enquête.
Je ne vais pas mentir : c’est surtout l’enquête qui intéresse, mais les deux fils conducteurs se rejoignent pour la conclusion et une conclusion qui tient en haleine ! [spoiler sur la fin] La moralité d’Amelia était plutôt douteuse pour le coup, le fait qu’elle empoisonne Walter Sickert m’a énormément surprise ! Mais au moins, le roman ne se termine pas sur une jolie réconciliation naïve. [/fin du spoiler sur la fin]
Sans oublier que la plume s’associe parfaitement au genre documentaire tout en conservant un talent de narration.

Si vous souhaitez mêler faits-divers et plaisir de lecture, Retour à Whitechapel s’impose même pour les ripperologues néophytes : inutile de connaître l’année 1888 sur le bout des ongles, Michel Maotti se chargera lui-même de faire (ou refaire) votre culture historique et criminelle. Et si vous pensez tout connaître sur l’Éventreur de Whitechapel, étudiez cet autre point de vue humainement riche.


             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• La majorité des extraits de journaux sont authentiques : de l’aveu de l’auteur, il y a bien un ou deux articles fictifs mais pas plus !
• Concernant la photo de Mary Jane Kelly, j’ai voulu pousser le vice pour un petit test justement : avez-vous été choqué d’avoir cette photo ? Ou est-ce que, comme pour les articles de Wikipédia par exemple, c’était comme "normal" ? Je suis curieuse d’avoir les réactions...

1 commentaire:

  1. J'ai beaucoup aimé ce roman et moi aussi, j'ai été parfaitement convaincue par l'argumentaire de l'auteur. Et j'ai été moi également marquée, durant la lecture, par la toute nouvelle empathie que j'ai ressenti pour les victimes de Jack. Car j'étais moi aussi coupable d'un détachement cruel à leur égard, oubliant bêtement que derrière ces noms, il y avait des femmes dignes de compassion.
    Quant à la photo, la voir sur ton blog ne m'a pas choquée. C'est aussi parce que de par son grand âge, elle n'est pas vraiment très nette... Je trouve qu'on dirait plus une peinture (très glauque) qu'une vraie photo d'une vraie personne. Du coup, ça m'accroche ni ne choque mon œil.

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