mercredi 13 décembre 2017

Fils de Sam, de Michaël Mention,

Été 1977. L’Amérique croit avoir tout subi : assassinat de JFK, émeutes, fiasco au Vietnam, crise économique. Meurtri dans sa chair et saigné dans ses ambitions, le pays est à genoux. New York aussi, soumise à une canicule sans précédent, au blackout et à son bourreau.
Un tueur mystérieux qui rôde la nuit et décime la jeunesse avec son revolver. Un prédateur unique dans la sphère des tueurs en série, défiant les autorités, les médias et le pays tout entier. Cette affaire criminelle a fait l’objet d’un film, Summer of Sam, réalisé par Spike Lee avec Adrien Brody, mais tout n’a pas été exploré...
Pour la première fois en France, un auteur retrace cette stupéfiante enquête, méconnue en Europe, à travers de nouveaux axes d’investigations. Entre document et thriller, Fils de Sam vous fait revivre la croisade du « Tueur au calibre .44 » à la faveur de nombreux documents et photos qui en font bien plus qu’un livre : un ouvrage qui se lit comme un film, en immersion dans la tête de l’un des tueurs les plus complexes. Une plongée au cœur des États-Unis du rock au disco, du L.S.D. à la C.I.A., d’Hollywood au satanisme… portrait d’une nation à travers l’un de ses exclus, devenu icône des serial killers.
Quatrième de couverture par Ring.
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« Yonkers, la ville où les morts pensent encore être vivants. »
P. 20

Si vous osez sortir le dicton "Les chiens sont les meilleurs amis de l’homme", il est probable que David Berkowitz éclate de rire ou vous plante une balle entre les deux yeux, au choix. Surnommé par les médias américains Son of Sam (Fils de Sam), ce tueur avait un mode opératoire curieux : sortir au hasard et tirer sur des jeunes femmes (de préférence) avant de s’enfuir des lieux du crime. Mais ses motivations sont encore plus curieuses : le chien de son voisin lui a ordonné ces meurtres.
Et le tueur au calibre 44 a des choses à raconter.

Plus qu’un roman sur David Berkowitz écrit par Michaël Mention, Fils de Sam est également une autobiographie morcelée, entrecoupée par des explications historiques, sociologiques et criminologiques de Michaël Mention : une nécessité pour améliorer l’immersion dans le New-York des années 70.
Si Michaël Mention est un auteur doué, il a de la concurrence avec David Berkowitz ! (quoique, s’il s’est chargé de la traduction, le duel est faussé)
Le début peut sembler long toutefois : le cadre a besoin d’être dressé (on se demande le rapport avec l’apparition des sectes aux États-Unis et les crimes de Son of Sam) et ressemble aux recherches d’une enquête. Mais une fois qu’on rentre dans le vif du sujet, les auteurs nous entraînent dans un tourbillon de folie et de lucidité.
Un paradoxe que je peux expliquer avec une des nombreuses citations qui m’ont marquée :
« Une employée apparaît, chétive. Enfoncé dans le siège, je la regarde passer entre les rangs avec un balai et un sac poubelle. Il est déjà plein ; elle a fait d’autres salles avant. Les gens sont crades. Sous prétexte qu’ils ont payé, ils se croient tout permis. Je me demande depuis quand c’est comme ça. À partir de quel moment l’humanité a préféré la dégénérescence au progrès. Ce jour précis, où la société a choisi de devenir une usine de croutons grossiers et assistés.
Je ne juge pas, je constate. Je serais mal placé pour juger, car je sais ce que j’ai fait. J’ai tué. »
P. 166

C’est assez perturbant de constater qu’on a déjà eu ce genre de pensées, que l’on partage donc avec un tueur en série. Mais en lisant le récit de Berkowitz, on se souvient d’une chose : les meurtriers, même les plus cruels et les plus sanguinaires, sont également des êtres humains. Ils ne sortent ni de l’Enfer, ni de mondes inconnus : ils sont faits de chair et de sang, de pensées et d’une psychologie.
Mais attention : David Berkowitz ne se cherche pas d’excuse, pas plus que Michaël Mention ne pousse son lecteur à pardonner. Il s’agit de faits rapportés et d’explications proposées : un témoignage du criminel qui change des témoignages des victimes.

Pourtant, malgré moi, j’avoue que j’ai été touchée par le récit de Berkowitz : sa façon de penser, sa vision du monde, ses complexes… Après, de tous les tueurs en série de la seconde moitié du XXème des États-Unis, David Berkowitz fait nounours à côté de Ted Bundy ou Jeffrey Dahmer : être sensible à son histoire n’est pas très difficile finalement.
Beaucoup de tueurs, Ted Bundy inclus, se sont repentis (ou ont fait mine de le faire) de leurs crimes, implorant pardon et pitié. David Berkowitz tient un discours similaire durant l’épilogue, mais plutôt que de réclamer pardon à ses lecteurs, il se réclame son propre pardon et semble souffrir de son passé. Et quelque part, j’espère que c’est un repentis sincère, je veux le croire.

Fils de Sam est un mixte entre monologue intérieur et documentaire efficace : une véritable approche dans la tête d’un tueur en série, une plongée dans des années difficiles, déprimantes qui ont marqué New-York. Un livre qui complète parfaitement des lectures criminologiques et une curiosité non pas malsaine mais parfaitement humaine.
Une lecture vraiment passionnante que j’ai déjà conseillé à beaucoup de gens et je relirais très souvent des citations qui m’ont frappée.
« D’ordinaire, un gars comme moi n’aurait pas fait dix pas sans se faire agresser. Là, les gens étaient trop occupés à piller les vitrines. Téléviseurs, meubles, machines à laver… j’ai vu ce que certains appellent la « société de consommation », je l’ai vue se disputer un manteau et se battre à mort pour un fauteuil. La misère rend con. J’avais beau le savoir, ça m’a surpris. »
P. 264

Grâce au taxi sur la couverture, je peux valider l’idée 61 du Challenge des 170 idées !

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• J’ai rigolé avec plaisir à la page 383 quand Berkowitz écrit : « J’ai été examiné par des centaines de psys, interviewé par autant de flics et de spécialistes. Il y a une trentaine d’années, j’ai même reçu la visite d’un Français. Un mec sympa avec des lunettes, comme leur nouveau président d’ailleurs. À croire que les Français sont tous binoclards. » J’espère que vous avez deviné de qui David Berkowtiz parle ! Non ? Réponse à 1000€ : Stéphane Bourgoin, enfin !
• Elliott Smith avait composé un morceau intitulé Son of Sam : quelque chose de doux mais de perturbant également, j’ai envie de vous faire découvrir le morceau ici.
• Hé, psst, Michaël Mention, je suis toujours sérieuse depuis ma critique de La Voix Secrète : une suite avec les mêmes enquêteurs et j’épouse le livre.

Envie de l’acheter ?

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