dimanche 29 novembre 2015

Cendrillon, de Joël Pommerat,

Une toute jeune fille comprend difficilement les derniers mots de sa mère mourante, mais n’ose les lui faire répéter. Pourtant voilà Sandra-Cendrillon liée à cette phrase : « Tant que tu penseras à moi tout le temps, sans jamais m’oublier plus de cinq minutes, je ne mourrai pas tout à fait. »
Joël Pommerat part du deuil et de ce malentendu pour éclairer le conte d’une nouvelle lumière.
Quatrième de couverture par Actes Sud, Heyoka Jeunesse.
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Je n’ai jamais été une mordue des contes de fées au point de me repasser tous les Disney en boucle, mais j’ai découvert Joël Pommerat, celui qui se définit comme un auteur de spectacle, il y a peu de temps avec sa réécriture de Cendrillon. Ce n’est pas mon conte préféré (celui que j’avais l’habitude de réclamer était plutôt Hänsel et Gretel) mais l’adaptation moderne m’intriguait.

Sans être une découverte renversante, cette réécriture de Cendrillon n’est pas une déception pour autant et se révèle être une bonne surprise : un conte à la sauce moderne avec des problèmes qui parleront aux enfants et adultes du XXIème siècle. Pommerat ne promet pas un valeureux prince charmant à chaque petite fille jolie, bien élevée et avec un cœur pur : il se concentre surtout sur le drame de la famille recomposée et du deuil chez l’enfant.
Ainsi, lorsqu’on lit Cendrillon, on est très loin du conte d’origine, d’une relecture classique ou de l’adaptation de Disney : l’histoire est ici tout à fait personnelle et l’interprétation est unique. Il y a des tons ambigus avec des sujets aussi douloureux et un humour assez absurde, rendant le tout efficacement gênant.
Si certains lecteurs et spectateurs ont trouvé Sandra insupportable, j’avoue que je n’ai pas été trop agacée par ce personnage, pour la simple et bonne raison que je ne les prenais pas au sérieux : la belle-mère est typiquement la femme qui refuse de vieillir, le père est le pauvre veuf soumis et impuissant face au problème de famille recomposée, la fée est une parodie de la bonne marraine qui semble finalement aussi perdue que l’héroïne…
Dur d’apprécier ne serait-ce qu’un seul personnage, et pourtant, chacun ont des raisons à leurs défauts les plus lourds.


En fait, de mon côté, si il y a bien un détail qui m’a profondément dérangée, c’est le registre. Et de voir que l’œuvre est classée du côté jeunesse. Je ne parle pas de la présence de gros-mots (la présence d’enfants ne m’a jamais empêché de dire « putain » ou « merde »… Mais je tente de le faire le plus discrètement possible) mais tout simplement au niveau des paroles : les dialogues des personnages de Cendrillon me rappelaient ces mères qui ont la vingtaine et qui disent « ferme ta gueule, tu me casses les couilles » à leur petiot parce qu’elles n’ont aucun sens de l’éducation et aucune autorité.
(Nan sérieux, vous n’avez jamais entendu ce genre de parents ? Écoutez bien dans le tram ou le métro, il n’y a rien de plus pathétique et choquant)
Cela dit, ce côté permet de rejoindre cette vision négative des familles modernes avec des mères au comportement gamin. La belle-mère, grande rêveuse et attentive à son physique car "elle ne fait pas son âge", semble bien inspirée par les contes de fées, justement…
Mais je reste persuadée que ce registre qui m’a un peu choquée aurait été moins brutal sur scène que sur papier, je n’ai pas encore eu la chance de voir Cendrillon sur scène, malheureusement. Mais je cherche, je cherche !

Très ancrée dans les années 2010, cette pièce de théâtre fait tout de même une foule de références aux contes de notre enfance : un peu de magie essaie de s’inviter et une fin qui départage les odieux et les innocents vient achever cette histoire. Mais si Cendrillon a des allures de livre pour enfants, je le juge pour ma part trop mature et le public visé serait plutôt des adolescents.

Un petit mot concernant l’édition empruntée à la bibliothèque : illustrée par Roxane Lumeret, les dessins sont frais, colorés et très imagés, ils n’occupent pas toute la trame et portent avec discrétion la pièce de théâtre sans empiéter dessus. Une édition très réussie avec des illustrations agréables.

Une pièce appréciée donc : pas un coup de cœur, mais si Cendrillon m’avait laissée indifférente, je ne chercherais pas à voir la version sur scène et j’ai apprécié comment Pommerat a dépoussiéré le conte avec un brin de réalisme et beaucoup de modernité… Tout en jouant avec les codes du conte de fées.

Déborah Rouach dans le rôle de la très jeune fille
de son vrai nom Sandra, de son nom féerique Cendrillon.

             Quelques anecdotes sur ce bouquin,
• Fait curieux et intéressant : Pommerat, pour la distribution, associe des rôles. Ainsi, le prince est joué par une des sœurs et la fée est jouée par l’autre sœur.
• Ce n’est pas la première fois que Joël Pommerat touche à un conte : avant Cendrillon, il avait fait une adaptation personnelle du Petit Chaperon Rouge et de Pinocchio.

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